URGENCE PARITE !
Alors que le Baromètre APEC 2023 sur les écarts salariaux entre les femmes et les hommes (la 14ème édition) vient de paraître et propose à nouveau un constat accablant (SPOILER = CA NE PROGRESSE PAS DU TOUT DANS LE BON SENS !), la journée des Assises de la Parité (4ème édition) organisée par le International Women’s Forum France et l’agence Epoka et qui avait lieu au Ministère de l’Economie et des Finances à Bercy le 19 juin paraissait non pas seulement bienvenue, mais absolument nécessaire.
Pierre Lamblin, Directeur des études de l’Apec, y était présent pour détailler ce bilan, rappeler, si besoin en était, l’importance de ces rencontres, et, au-delà, inciter à mener des actions concrètes suite à ces échanges :
Les femmes cadres continuent à être moins augmentées que les hommes cadres (54 % vs 59 %), quelle que soit leur tranche d’âge, et les augmentations salariales pour les cadres en 2022 ont été – encore une fois ! – sans effet sur la réduction des inégalités salariales entre femmes et hommes cadres.
Pourtant, les difficultés sur le recrutement, liées à un marché en forte tension, ont contraint les entreprises à agir sur les salaires des cadres, que ce soit pour les recruter ou pour les fidéliser, et la part de cadres ayant bénéficié d’une augmentation individuelle ou collective en 2022 atteint un niveau record (57 %, + 11 pts vs 2021, +19 pts vs 2020).
Ces politiques volontaristes auraient donc tout à fait pu bénéficier aux femmes, mais non :
A l’embauche, l’écart des salaires entre hommes et femmes est de 4% (salaire médian), au-delà de 55 ans, il atteint 19% : LES FEMMES GAGNENT TOUJOURS 15% DE MOINS QUE LES HOMMES, et non non les congés maternités ne sont pas la bonne ni l’unique excuse.
Il est vrai que les femmes sont « moins souvent managers que les hommes » : on compte 32% de managers parmi les femmes cadres, contre 46% parmi les hommes, si l’on se base sur le salaire médian, même si cette proportion varie suivant les secteurs.
Les femmes sont aussi moins présentes aux postes à hautes responsabilités (et hauts salaires), et bloquées dans leur évolution aux postes de CoDir (le fameux plafond de verre), et cette fois, le prétexte des maternités est plus directement brandi (alors que non non ce n’est pas… etc.).
Cependant, A PROFIL IDENTIQUE (même type de poste de manager), il persiste UN ECART DE REMUNERATION DE 7,1%, SANS AUCUNE RAISON, ni aucun changement constaté depuis 10 ans
=> 7%, C’EST LE PRIX DU BIAIS.
Cet écart (et donc ce biais) s’accentue avec l’âge : à 3 % pour les cadres de moins de 35 ans, il atteint 10 % pour ceux de 55 ans et plus.
Comme l’exprime le Directeur de l’APEC « En parler, faire des lois, se donner des objectifs et des index c’est bien mais… cela ne suffit manifestement pas, il faut agir plus fort et plus vite ! »
CHANGER DE PARADIGME
Mon point de vue est que le changement, quel qu’il soit, n’est pas confortable.
S’il l’est, c’est qu’il n’est pas suffisant !
Les comités qui ont lieu en dehors des heures de travail, les groupes de parole dont les hommes sont absents, les objectifs non chiffrés ni incentivants, les lois qui n’impliquent pas de sanctions directes et concrètes… ont été jusque là INOPERANTS.
Il s’agit de forcer les cadres (pas uniquement les RH, mais les managers en prise avec le business) à revenir sur des croyances souvent inconscientes, des convictions inavouées, changer des réflexes RH ancrés depuis longtemps, des règles enfouies, des habitudes qui semblent immuables sur lesquelles personne n’a envie de revenir…
Il faut aussi déconstruire patiemment des automatismes qui ont la vie dure, y compris au sein de rencontres et de talks telles que les Assises de la Parité, comme celui de vouloir résoudre les problèmes constatés, qui sont pourtant factuellement des problèmes de biais, en commençant par donner aux femmes concernées des conseils sur la façon dont elles pourraient mettre en valeur leur profil, mieux s’assumer, mieux convaincre… STOP !
Ces conseils sont utiles, mais non prioritaires. Il ne s’agit plus de persuader les femmes qu’elles sont dignes de figurer dans les CoDir, les Comex et les boards (contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, la plupart de celles qui sont concernées le savent déjà !) mais d’expliquer à celles qui se sentent prêtes à le faire pourquoi elles n’y accèdent pas, et surtout de LEUR FAIRE DE LA PLACE concrètement et rapidement !
Il s’agit donc au final d’expliquer DE QUOI EST VRAIMENT COMPOSE CE FAMEUX PLAFOND DE VERRE pour le pulvériser. SPOILER : il est composé d’entre soi, de clichés, de biais non avoués… mais surtout d’entre soi en fait !
La parité n’est donc pas un problème de femmes… En revanche c’est une question à laquelle les femmes sont naturellement plus sensibles, et qui ne progressera réellement que quand TOUTES les parties seront sensibilisées et concrètement impliquées. Ce qui suppose de mesurer et objectiver l’ampleur du problème et ses ramifications manifestes et concrètes, dans les choix stratégiques comme dans le quotidien opérationnel de toutes les entreprises (y compris, la mienne, la vôtre et l’entreprise de ceux qui « ne voient pas où est le problème » !), pour pouvoir y remédier de façon également concrète et efficace.
TOUR D’HORIZON DES ASSISES DE LA PARITE
Quelques réflexions et pistes ou best practices vraiment porteuses repérées au fil de cette journée des ASSISES DE LA PARITE (tour d’horizon des sujets sur lesquels je reviendrai !) :
EN ENTREPRISE
Analyser les problématiques de façon objective en faisant preuve de lucidité, se fixer des objectifs clairs, mesurer les actions :
Comme le rappelle Biljana Kostic, DRH de Setec, mais aussi Sébastien Lecat, Directeur des projets RH de Kingfisher France et Roselyne Haeck, Responsable Diversité et Inclusion de Castorama, il est fondamental tout d’abord d’établir un diagnostic factuel, pour permettre une vraie prise de conscience au-delà des ratios superficiels et évaluer le chemin à parcourir avec une exigence plus grande. Par exemple, « dans les environnements – comme le nôtre, ou la banque – où 50% des cadres sont des femmes, le plafond se situe en fait au niveau du top management. Même quand « il y a des femmes », l’évolution ne se fait pas. » Ces constats permettent de fixer des objectifs clairs : quelle partie du problème doit être adressée en priorité ? Quelles catégories de profils et quels niveaux de responsabilités sont concernés ?
Il faut aussi construire les KPI permettant de mesurent si les choses évoluent suite en line avec les actions prises.
Recrutement et marque employeur : favoriser ET promouvoir la parité
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Optimiser sa marque employeur en mettant en avant son exemplarité sur la parité,
un point aujourd’hui incontournable pour les candidats, comme l’explique Biljana Kostic de Setec, qui recrute de nombreux profils ingénieurs / tech très sollicités sur ce marché tendu : « les beaux projets ne suffisent plus ! ». Tout en ayant en tête que, comme elle l’exprime, « Parler d’amour c’est bien, les preuves d’amour, c’est mieux » : quelles sont les actions concrètement mises en place ? Quels sont les RESULTATS ? « C’est bien de dire qu’on fait les choses, c’est mieux de les faire et encore mieux quand on peut constater les résultats ».
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Optimiser ses process de recrutement :
Comme le rappelle Biljana Kostic de Setec, cet engagement pour la parité doit se retrouver dans tous les aspects et tous les points de contact du candidat avec l’entreprise : process d’entretiens, conditions de travail proposées, nombre de femmes managers rencontrées et décisionnaires, grilles de rémunération…
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Optimiser ses job descs :
Utiliser des termes ouverts et inclusifs, avancer des arguments qui parlent à tous (les faire rédiger par des femmes ?) – un point qui a été discuté lors du talk « Equipe paritaire : comment réussir ? » avec Pascale Montrocher de Dassault Systèmes – et non ce n’est pas un détail, les mots véhiculent beaucoup de biais inconscients ! « Lorsqu’une offre d’emploi s’adresse clairement à des hommes, notamment ingénieur, c’et normal qu’il soit plus compliqué de donner envie à une jeune femme de prendre le temps d’y répondre alors que l’entreprise, elle ne la projette pas. Donc c’est important. » Même quand la jeune femme en question a malheureusement l’habitude. Women4cyber France, qui était représentée dans un autre talk par Anne-Pierre Guignard et promeut la parité dans la crbersécurité, propose d’ailleurs aux entreprises, de façon bénévole, de les accompagner dans la rédaction de leurs fiches de postes.
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Communiquer en interne et à l’externe en évitant les stéréotypes de sexe
en suivant les 10 conseils de communication ouverte et inclusive du HCE (Guide pour une communication publique sans stéréotypes de sexe, à télécharger ici) – une suggestion très intéressante d’une personne de la salle lors du talk « Equipe paritaire : comment réussir ? », dont je n’ai pas le nom mais que j’aimerais remercier, et un must read absolu pour tous !
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Communiquer sur la parité de façon directe et assumée, en évitant de l’englober dans des problématiques plus larges
de diversité et de RSE, ce qui aurait pour effet d’invisibiliser le sujet ou de lui donner implicitement un timing plus lent
Réseaux féminins corporate et programmes internes de développement du leadership féminin et de promotion de la parité : optimiser leur impact
Beaucoup de réflexions intéressantes lors de ce talk très riche « Réseaux féminins : comment capitaliser », avec des intervenantes ultra pertinentes de très bon niveau !
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Impliquer/obtenir le support de la direction générale et des managers métiers
dans tous les réseaux et programmes internes en faveur du leadership féminin et de la parité, qui ne doivent pas être développés et promus uniquement par les RH, comme c’est souvent le cas.
Odile Renard, DRH de Coca Cola Europacific Partners, a développé ce point avec d’autant plus de pertinence et d’impact qu’elle a elle même déployé le réseau Factory’elles au sein des usines de Coca Cola et Women@Coke « Il faut avoir le soutien du/de la Directeur/trice général(e) et le support des gens du business qui doivent porter ces réseaux, pas uniquement les RH. Il faut que les équipes soient impliquées, et qu’il y ait des hommes, ces réseaux ne doivent pas être excluants. » Un point de vue partagé par Muriel Leclercq, Directrice de la Stratégie et de la transformation de BRED, qui a développé Bred Plurielles Women Leadership.
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Inverser les rôles et les rapports habituels :
au sein du réseau Bred Plurielles Women Leadership, développé par Muriel Leclercq, ce sont des femmes qui mentorent des hommes, et ça change !
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Communiquer très largement et précisément sur les actions menées et les résultats obtenus pour mobiliser les équipes,
comme le conseille également Muriel Leclercq de BRED : « même les petites actions sont importantes pour susciter l’adhésion en interne ».
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Communiquer également à l’extérieur, avec des objectifs ambitieux
qui doivent être affichés : comme l’exprime Women4Cyber France, qui œuvre pour la parité au sein de la cybersécurité, « Ces réseaux ne sont pas que des réseaux féminins, on travaille ensemble pour faire changer les choses, interpeller les institutions, faire bouger les lignes. Investissez-vous dans les réseaux pour transmettre vos idées quelle que soit votre expérience : changement de carrière, de vie, témoignage… »
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Travailler en profondeur les contenus que partagés sur les réseaux, aller au fond des sujets :
Attention à ne pas rester trop en surface, alerte Kristine Naitchadjian, de The Leadership Revolution. Seule la capacité à creuser les sujets et à les rendre concrets et orienté vers l’action sera gage de crédibilité et de visibilité. Il est vrai que la tolérance à la superficialité et aux lieux communs sur le sujet a beaucoup baissé, vous avez remarqué ?
Organisation du travail
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Optimiser l’organisation du télétravail dans une optique de parité :
Selon Rebecca Fischer-Bensoussan, le télétravail a révélé beaucoup d’inégalités existantes, et a eu un impact en demi-teinte sur l’équilibre vie pro-vie perso des femmes. Selon l’APEC, 82% des femmes managers trouvent aujourd’hui que leur équilibre pro/perso agit de façon négative sur leur santé mentale. Entre hyperconnexion et déconnexion (plus de disponibilité aux réunions, moins de small talk et détérioration des liens sociaux quotidiens), le télétravail a eu tendance à alourdir la charge mentale et eu un impact plutôt négatif au global. Il faut donc veiller, comme le conseille Veronique GRONNER, Chef du service RH du Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, à ce que le télétravail soit choisi, et organisé en fonction des attentes du collectif.
Entrepreneuriat / tech
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Proposer des accélérateurs de business axés sur l’innovation et la qualité des projets au sein desquels les femmes ont leur place,
comme cette excellente plateforme de Product life cycle management et d’accompagnement des startups qui proposent des projets technologiques innovants et complexes construite par Myriam Beaves chez Dassault Systèmes. Cette plateforme a contribué à développer des projets d’innovation en rupture, qui étaient au départ early stage et n’avaient pas encore levé de fonds. Le process de sélection ouvert et objectivé par des critères portant sur la dimension innovante et la qualité du projet est propice à la parité. Parmi les startups accompagnées, plusieurs startups ambitieuses portées par des fondatrices ont émergé, comme Damae Medical, co-fondée par Anaïs Barut, qui propose une solution permettant de faciliter la prévention des cancers de la peau.
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Arrêter de parler de « la tech », comme si c’était un environnement « technique »
Comme l’a rappelé Caroline Ramade, fondatrice de 50inTech, au sein ce qu’on appelle « la tech » ou « la French tech », 63% des profils sont des profils business et non techniques. Et d’ailleurs, pour dire les choses clairement, les environnements techniques sont bien souvent des milieux plus ouverts et porteurs pour l’évolution des femmes aux postes de management que les expertises plus « business » (marketing, commerciales…) souvent difficiles à pénétrer au niveau du CoDir/Top management pour des femmes : comme le soulignait Caroline Ramade, l’une des fonctions les moins occupées par les femmes au sein des start ups de la French tech est celle de Chief operating officer (et de DG, ndlr !).
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Arrêter de penser que certains environnements, les plus innovants, comme la French tech sont exemptés de cet exercice de remise en cause en profondeur :
selon Caroline Ramade « Les startups sont pires que la finance, on compte 25% de femmes dans les boards là où tout le CAC40 a réussi à atteindre 40% de femmes compétentes ! » Dont acte. Clara Chappaz s’est attaquée à la question avec énergie, et il en faut !
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Encourager les femmes à « investir l’investissement » pour faire bouger les lignes
Il y a trop peu de femmes partners dans les fonds de VC (28%) et au sein des comités d’investissement (22%) selon Cécile Bassot de FBA ! Et comme l’analyse Caroline Ramade, au sein des fonds, les sujets qu’abordent les femmes à travers l’entrepreneuriat, qui sont souvent (mais pas toujours !) tournés vers l’impact, sont sous évalués ou peu considérés par les investisseurs, qui se basent souvent sur des données erronées (notamment sur les sujets de la santé des femmes, comme les AVC féminins qui sont largement sous-évalués). Selon Catherine Abonnenc, du réseau Femmes Business Angels, « Les femmes ont une gestion du risque différente de celle des hommes, mais pas d’aversion au risque ! ». Découvrir le crowd equity, rejoindre un réseau de business angels ou un fonds, se former sur les KPI et les sujets techniques de l’investissement et de la gestion d’entreprise permet également de faire bouger les lignes de l’entrepreneuriat et de l’entreprise.
LES PETITS ACCELERATEURS DE LA PARITE
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En finir avec le « flou financier » :
Comme l’évoquait Léa Lejeune de Plan Cash au sein du talk « Autonomie financière : comment l’assurer ? », l’éducation financière est trop limitée en France, dans le cadre des études le sujet est à peine abordé, la presse s’adresse aux initiés (et souvent clairement aux hommes) et au final les femmes sont trop dépendantes de la culture familiale, qui inclut ou non ces notions.
Connaître précisément le montant de son patrimoine, faire attention au choix du régime matrimonial, sont des éléments fondamentaux ! -
A nouveau, investir l’investissement, même à un niveau plus « quotidien » !
Comme rappelé lors du talk sur l’investissement au féminin, 33% des hommes investissent en bourse vs seulement 15% des femmes ! A minima : prendre le réflexe d’épargner dès le début de sa carrière professionnelle, comme le conseille Françoise Neige, de Natixis Wealth Management (définir son horizon d’investissement, en réfléchissant à l’allocation de ses ressources sur différentes enveloppes, en diversifiant les risques…). Mais on peut aussi se prendre vraiment au jeu et se lancer sur un horizon plus lointain ou des montants plus ambitieux quand on le veut/peut !
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Faire pression sur les pouvoirs publics pour adresser le sujet de l’inégalité fiscale :
Comme évoqué lors du talk sur l’autonomie financière par Léa Lejeune de Plan Cash et Marie Degrand-Guillaud de Nickel, la fiscalité n’est pas favorable aux femmes en couple. Le taux individualisé augmente de fait l’impôt des femmes et le taux personnalisé, qui leur serait plus favorable, est méconnu.
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Successions : être attentive aux biais pour mieux les désactiver !
Les notaires et banquiers ont tendance à favoriser une seule personne au sein d’une fratrie, et souvent un frère, pour préserver l’unité du patrimoine (un point évoqué dans le livre Le genre du capital, de Cécile Bessière et Sibylle Gollac https://www.fnac.com/a17898417/Celine-Bessiere-Le-Genre-du-capital)
Le bilan de cette journée ? Beaucoup de pistes lancées, quelques personnalités inspirantes agissant au quotidien, et comme une envie de ne plus en parler, mais de mesurer rapidement de vrais résultats !
Aurore de Lignières, Partner, Reemind